mercredi 5 septembre 2018

Collections égyptiennes du Musée de Berlin


Notre séjour à Berlin en juillet 2018 nous a donné l'occasion d'aller visiter le Neues Museum, dans Museuminsel (l'Ile aux Musées), consacré aux collections antiques et plus particulièrement égyptiennes. Ce musée a la particularité d'être entièrement décoré comme le serait un vieux bâtiment portant encore les traces de peintures murales inspirées par l'Orient. Pris par la main dans un tel décor, le visiteur est ainsi transporté littéralement vers un ailleurs magique, loin de l'Allemagne, loin dans le temps.


Au bout du parcours de ce musée il est bien entendu un clou su spectacle, la pièce maîtresse qui à elle seule attire les visiteurs comme la Joconde le fait au Louvre. Il faut pour cela parcourir les autres salles, monter les étages car elle se mérite cette pièce. Il faut surtout prendre son temps pour y arriver car elle est précédée de pièces exceptionnelles des collections allemandes qui, rappelons-le, portent entre autres trésors sur le résultat des fouilles de Tell el-Armana, la capitale enfouie de Ackenaton et son épouse Nerfertiti. 
Ainsi avant d'entrer dans la fameuse pièce, on peut voir cette série de têtes représentant la famille du pharaon, notamment ces princesses représentées avec une tête comme un obus : des recherches récentes tendent à démontrer qu'il ne s'agit pas là de la représentation de déformations provoquées par les mariages incestueux mais bien plus d'un code artistique permettant d'identifier à coup sûr un membre de la famille royale.



Un pas de côté permet maintenant d'apercevoir l'une des plus belles, des plus troublantes pièces de toute l'égyptologie : le buste de Nefertiti.
On le voit d'abord de profil, majestueux, altier presque dédaigneux vu sous cet angle. A partir d'ici les appareils photo sont interdits et inutile de chercher à sortir discrètement son téléphone, les gardiens sont étonnamment vigilants et décèlent très vite les tentatives.
En anglais je demande si j'ai le droit de dessiner, en restant en technique sèche. "Mais bien sûr ! et si vous le désirez, il y a au 1er étage des chaises pour les dessinateurs"... La plupart des grands musées connaissent bien leur  rôle dans l'apprentissage de l'art comme de l'Histoire qui passe par le dessin et la copie des grands maîtres. D'autres moins anciens n'ont pas compris cela et bannissent les dessinateurs.


Quand on dessine une oeuvre on dialogue avec elle. Il n'en ressort pas dans le dessin une simple copie mais la traduction d'une émotion avec ce que les mains ont pu faire.
Face à Nefertiti il y a comme un privilège de pouvoir dessiner car les photos étant interdites, même de loin, c'est le seul moyen de capturer sur place une image de cette oeuvre étonnante. Ceux qui ne dessinent pas iront acheter une carte postale à la boutique.


Bien sûr je connais le débat sur l'authenticité de cette oeuvre, qui a été sculptée dans le plâtre autour d'une pierre par le sculpteur officiel du pharaon Ackenaton, Thoutmosis, au 14ème siècle AC.
On s'étonne de l'absence d'un oeil mais il n'a jamais été posé : ce buste est un canon de référence pour toutes les reproductions officielles de la reine et ses proportions sont absolument parfaites au regard des codes utilisés alors par les égyptiens qui utilisaient un doigt comme référence pour les proportions artistiques.
La polémique lancée en 2009 repose sur l'idée que ce buste est trop parfait, en trop bon état en comparaison avec un autre retrouvé juste à côté qui lui est défiguré. Ainsi l'historien suisse Stirlein affirme-t-il qu'il s'agit d'un faux, créé par l'archéologue allemand Borchardt en 1912 et montré par erreur aux membres de la famille impériale en visite sur le site par un ouvrier trop empressé.
Par ailleurs le buste a les épaules coupées droit, ce qui ne se faisait pas à l'époque.
Mais les analyses scientifiques faites récemment ont permis de prouver que la composition du plâtre, celle des pigments de peinture, sont exactement celles employées à l'époque de Nefertiti (les compositions changeaient alors d'une époque à l'autre, permettant aujourd'hui de caractériser scientifiquement la datation d'une oeuvre), tout comme la référence du doigt pour les proportions. Or ces notions de composition et de proportions n'ont été découvertes que grâce aux progrès de la science et bien après 1912, de telle sorte que Borchardt ne pouvaient pas les connaitre lors de ses fouilles.
Quant aux épaules, le Neues Museum détient dans ses réserves un autre buste aux épaules coupées droit, un buste d'Ackenaton donc de la même époque.


Quoi qu'il en soit, reste une certitude à mes yeux : l'émotion ressentie devant cette oeuvre est immense, elle est palpable comme celle que j'ai pu avoir devant les Monet lointains du Metropolitan Museum de New York.
Une reproduction ne crée pas cette même émotion et ce buste est tout simplement exceptionnel par sa qualité, sa finesse dans les détails que mes croquis ne sauraient rendre. Nous sommes sortis bouleversés de cette salle, riches d'avoir eu le privilège de passer quelque temps devant cette oeuvre évidemment majeure.




Le reste du musée apporte ses merveilles aussi, aussi bien sculptures, pièces anciennes comme ce casque de gladiateur mais aussi documents.
Ainsi ce livre en français ouvert, où l'on découvre qu'il s'agit d'un original du livre dans lequel Champolion explique sa méthode pour décrypter les hiéroglyphes, qu'il compare à celé d'un autre scientifique indiquant que ce raisonnement permettra de décider "auquel des deux cette découverte appartient"...




L'émotion est encore là quand on découvre des pièces célèbres dans l'histoire de l'art et dans l'égyptologie en particulier, celles relatives à la période Armanienne et ses suites : ce que l'on a appelé "l'hérésie d'Aton" comme ici où l'on reconnait du premier coup d'oeil Ackenaton avec son profil étiré et la reine, Nefertiti donc, célébrant ce culte.


Et encore cette scène touchante d'un jeune couple où l'on reconnait la forme oblongue du crâne de la princesse et le ventre tombant du prince, typiques de l'art armanien voulu par Ackenaton. Ces couleurs particulières de la coiffe, mais aussi cette canne sur laquelle s'appuie le prince, laisse à penser qu'il s'agirait bien d'une représentation du futur Toutankhamon et de son épouse Ankhesénamon, dans une attitude ici qui rappelle celle que l'on retrouvera sur le dossier du trône en or de Toutankhamon.


Ce Neues Museum contient probablement la plus belle collection d'art égyptien qu'il m'ait été donné de voir à ce jour, en attendant de pouvoir aller au Caire. Sa visite complète celle que l'on peut faire plus facilement du Louvre dont le département d'égyptologie est déjà bien fourni, sans pour autant détenir une telle concentration de pièces majeures. 
Berlin aura été une visite exceptionnelle, tellement enrichissante qu'elle mérite d'être refaite et prolongée.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire