lundi 15 avril 2019

Chronique d'un tableau

©Axel  Pivet - Aviso d'Estienne d'Orves - aquarelle sur carte marine ©2019
Une oeuvre d'art peut raconter une histoire mais elle a aussi sa propre histoire. Publier des "wip" sur les réseaux sociaux (work in progress) est finalement d'un intérêt mitigé, comme si l'artiste était en mal de publication et éprouvait le besoin de faire parler de lui. Pris de façon isolée, une oeuvre en cours de réalisation manque totalement de portée et d'ailleurs pourquoi la publier à cet instant du travail plutôt qu'à autre ?

En revanche, suivre jour après jour l'évolution du travail et joindre le tout dans un album permet de voir, d'un seul coup d'oeil, cette vie avant la vie de l'oeuvre.

Voici cette évolution d'une aquarelle sur carte marine, marouflée sur cadre de 46 x 55 cm, l'Aviso A 69 "d'Estienne d'Orves" de la Marine française, premier d'une série de 20 navires (dont 17 pour la France et 3 pour l'export).

©Axel  Pivet - la carte marine de départ ©2019
 Le support de départ est une carte marine format raisin (A0), intitulée "les côtes de France d'Audierne à la Pointe de Penmarc'h", imprimée en 1929. Imprimée au format portrait, coupée en deux elle me donnera un support pour un autre tableau.

Dans un premier temps, je l'étire sur un support rigide, en l'occurence un carton à dessin assez grand pour recevoir tout le papier.

©Axel  Pivet - croquis d'esquisse ©2019
 Vient le temps de l'esquisse, issue de plusieurs photos du bateau. En effet je recherche un point de vue qui soit celui d'un observateur lambda, alors que le plus souvent les photos prises en mer le sont depuis un autre navire ou un hélicoptère, ce qui donne des vues en plongée. Je me place ici à hauteur d'homme, du moins celle que l'on aurait en étant sur un quai ou depuis un petit bateau.
Le trait est aussi détaillé que possible, sans pour autant marquer ni l'horizon (ne pas confondre avec le parallèle imprimé sur la carte) ni les vagues à l'exception de celle de l'étrave.

©Axel  Pivet - Fluide de masquage et premiers lavis ©2019
L'esquisse posée permet ensuite de déployer du fluide de masquage aussi bien pour les vagues que pour toutes les oeuvres extérieures qui vont trancher sur le fond (garde-corps, antenne, armement, mât, ...).

Je commence alors les lavis, d'abord la coque puis après séchage la mer. A main levée l'horizon semble danser mais il ne faut pas oublier qu'au ras de l'eau, l'horizon est marqué par des vagues.

©Axel  Pivet - retrait du fluide masquage, premiers détails ©2019
 La mer étant sèche je peux retirer le fluide de masquage des vagues, laissant celui des oeuvres vives. Cela aide l'oeil à visualiser le rendu global, ce que renforce la précision des détails de la coque.

©Axel  Pivet - lavis du ciel ©2019
Le lavis du ciel entre en jeu. La particularité de ce papier est d'avoir une fine pellicule soit d'encre, soit de traces de gomme passée et repassée sur les relevés au crayon, de telle sorte que le papier réagit mal. Non seulement il n'absorbe pas l'eau mais en plus il est capable de retenir violemment des pigments par tâches irrécupérables.

Le résultat est qu'il faut travailler vite en jouant sur la dilution des pigments car la fusion des couleurs ne sera pas possible. De même il ne sera que peu possible d'absorber de la couleur pour effectuer après passage du lavis des retraits, par exemple pour les nuages. Le papier peut marquer très vite sans réagir à l'éponge.

Evidemment de telles conditions de travail peuvent tout gâcher mais si les particularités du supports sont acceptées pour être intégrées dans le descriptif futur de l'oeuvre, alors ces imperfections seront les témoins, involontaires, des contraintes du travail sur carte ancienne.

©Axel  Pivet - détails de la mer et de la coque ©2019
 Reste à renforcer les détails de la mer pour créer du relief aux vagues en les ombrant.
Le fluide de masquage est totalement retiré pour permettre de souligner les apparaux, tandis que la lumière est marquée par les ombres sur la coque.

©Axel  Pivet - marouflage sur cadre ©2019
Le travail étant terminé, il faut maroufler l'oeuvre sur son support d'exposition à savoir un cadre avec une toile de coton de 46 par 55 cm. La colle est posée au pinceau puis l'ensemble est enfermé à l'intérieur du carton à dessin avec des poids pour assurer une répartition la plus uniforme possible de la colle sous le papier.

©Axel  Pivet - l'oeuvre finie : Aviso d'Estienne d'Orves - aquarelle sur carte marine ©2019
L'oeuvre est alors terminée et signée, prête à rejoindre le mur du cabinet où elle sera exposée.





mardi 9 avril 2019

Aquarelle sur carte marine : le Georges Leygues

©Axel Pivet - Le Georges Leygues - aquarelle sur carte marine
Les cartes en général et les cartes marine en particulier sont faites pour faire voyager. Elles aident le voyageur à trouver sa route, elles permettent au navigateur de faire le point et savoir où il se trouve sur l'immensité de l'océan.
Mais les cartes ont une durée de vie et comme les navires elles se font remplacer, par de plus jeunes réputées plus à jour.
Les vieilles cartes partent dans des cartons ou finissent au pilon, réduites au silence ou vouées au néant.
Les vieux navires sont désarmés et servent de brise-lame ou partent au fond d'un fleuve amarrés au quai de l'oubli, en attendant que vienne le remorqueur vers le port de la déconstruction (on ne démolit pas un navire, on le "déconstruit").

Alors quand les pinceaux viennent redonner vie aux cartes pour leur demander de poursuivre leur puissance évocatrice, de devenir porteuses de rêve, ils font aussi revivre des navires aujourd'hui endormis.
Une carte marine datant de 1930...
Le Georges Leygues, construit à Lorient dans les années 70, affecté à Toulon dans sa mission première de lutte anti sous marine, est ensuite parti à Brest servir de longues années de conserve de la Jeanne d'Arc dans sa mission d'école d'application des élèves officiers de marine.
La Jeanne a plié l'échine sous le chalumeau des déconstructeurs, le Georges dort en attendant le même sort.

Aux murs du  cabinet, la Jeanne et le Georges naviguent  à nouveau de conserve. ©Axel Pivet

Projetons-nous un instant à la passerelle, à la table à cartes. La règle Cras est là, bien repérable à ses deux rapporteurs en opposé, l'un noir et l'autre rouge, pour reporter sur la carte les relèvements d'amers en sortant de la rade de Brest. Le crayon gras, on n'utilise pas de stylo-mine sur une carte car le crayon fonctionne même sur papier mouillé. Le compas à pointe sèche pour mesurer les distances.
Le Georges sort de Brest, passe le phare du Minou, rejoint l'Océan.
Ce qui se passe à gauche de la carte ? L'aventure, le grand large, à chacun le soin de rêver, d'imaginer. Après tout, les cartes marines sont faites pour cela.

Avril 2019
Axel Pivet