mercredi 27 novembre 2019

Comme une madeleine de Proust

L'eau scintille sous un soleil d'octobre qui joue les prolongations de l'été, me replaçant ainsi en situation. Les pins sont là que la chaleur aide à vibrer, leur résine émet une odeur suave. Le sentier est sorti d'entre des immeubles anciens et rejoint la mer, du haut d'une petite falaise.
Soudain après un contournement la vue se dévoile et ce voile se déchire sur la mémoire subitement rafraichie.

Toulon - plage de la Mitre ©Axel Pivet

Ma madeleine ce jour-là est un rocher en forme de mitre d'évêque, une madeleine trempée dans le bleu de la Méditerranée. Des cris d'enfants ressortent instantanément parmi lesquels ceux de l'enfant que j'étais, qui a appris ici même à nager. Au pied de l'escalier toujours escarpé il n'y a plus le matelot d'accueil, qui pointait que les familles descendant ici étaient bien inscrites sur sa liste. Chacun ensuite se posait sur le sable à "son" emplacement et personne n'aurait songé un instant s'installer ailleurs. Le respect de la hiérarchie dans la Marine nationale, alors propriétaire du site, s'impose même en vacances.


Nous sommes à Toulon, où je ne suis pas revenu depuis 24 ans. Aujourd'hui j'ai voulu montrer à mes filles cette plage où enfants nous allions en famille, aujourd'hui rendue accessible au grand public. Des souvenirs remontent à la surface pour leur raconter leur papa leur âge. L'émotion se partage, celle des souvenirs n'est pas forcément communicative.


Toulon, sur le port. ©Axel Pivet

Toulon, centre-ville. Des noms me reviennent, des images aussi. Le port n'a pas changé, son grand quai d'où l'on aperçoit les navires de la Marine, la plaisance, au loin la zone d'où nous allions assister au feu d'artifice du 14 juillet. Au milieu du quai, la statue dite de "Cuverville" montre toujours ses fesses aux rues en pointant la mer du doigt.

Notre-Dame de Pépiole à Six-Fours les Plages ©Axel Pivet

Poursuivant le pèlerinage, la route serpente un peu dans des rues d'une zone artisanale. Je recherche cette vieille chapelle qui dans mon souvenir était perdue en pleine nature. Devant la complexité du trajet, j'en suis à me demander comment, dans les années 90, on pouvait y arriver alors que les GPS n'existaient pas...
Après quelques maisons, quelques champs, un rideau d'arbres masque subitement la ville et nous faisons un saut hors du temps. Nous quittons notre siècle pour atterrir au VIème siècle face à la Pépiole, petit nom pour désigner Notre-Dame de Pépiole, probablement l'édifice religieux le plus ancien de France qui soit encore debout. Fortement remanié aux cours des siècles, restaurée avec foi et courage dans les années 60 par un moine solitaire qui a su attirer autours de lui une communauté de fidèles dévoués. 


Notre-Dame de Pépiole à Six-Fours les Plages ©Axel Pivet
En juillet nous allions là à la messe. J'entends encore les chants que quelques religieuses animaient dans cette chapelle romane à l'espace intérieur si restreint. Il est vrai que les murs ont une telle épaisseur que dedans on se croirait dans le creux d'une main, cocon idéal pour se recueillir.


Golfe de Saint Tropez ©Axel Pivet
Plus à l'Est, Saint Tropez est une étape familiale sans rapport avec mes souvenirs personnels mais en lien direct avec l'iconographie partagée avec nos enfants : "douyou-douyou Saint Tropez" pourrons-nous chanter en essayant de retrouver une certaine gendarmerie et en déambulant dans les vieilles rues, inondées d'une foule aimantée par la grande braderie commerciale. 

Saint Tropez, les plages ©Axel Pivet

Le plaisir de traquer le passé dépasse les générations. Il y a 95 ans, mon arrière-grand mère, aquarelliste de grand talent, est venue à Léoube pour y peindre depuis le balcon d'une propriété face à la mer. Autrefois nous allions à Léoube, véritable luxe car son accès était payant.
Aujourd'hui Léoube a été repris en main et le domaine n'est plus accessible, sauf par une plage (toujours payante) plus à l'ouest.
Le sentier du littoral nous guide vers l'anse qu'une vendeuse du domaine nous a obligeamment indiquée. Elle n'en est pas sûre mais pour elle l'îlotier sur l'aquarelle dont je lui montre la photo doit correspondre.
Et me voici, 95 ans plus tard, assis juste en dessous de l'endroit même où mon aïlleule a posé sa palette. Mon travail ne saurait se comparer au sien tellement plus abouti mais qu'importe ; je suis là, face au même paysage, poursuivant au travers du temps cette pratique dans laquelle elle m'a sans doute inspiré, même si je ne l'ai jamais connue de son vivant.

Anse de Léoube ©Axel Pivet
Quand le terrain de l'émotion des souvenirs est défriché, il est possible de parcourir les lieux avec un oeil neuf, pour s'émerveiller simplement d'un paysage scintillant sous la lumière du sud. Ici les couleurs dansent dans le vent qui fait chanter les feuilles et briller les vagues.

Cap Nègre ©Axel Pivet

Cap Nègre ©Axel Pivet
La mer se joue des criques et chaque détour du chemin offre une nouvelle vision. A croire que l'oeil ici ne peut pas prendre de repos tant il a à découvrir !
La côte provençale est un coffret de surprises que l'on goûte  avec délice, étonnement renouvelé pour qui ne connait pas la région.

Cap Nègre ©Axel Pivet
Mais dans les terres aussi la Provence joue une partition d'harmonie dans les sons comme les couleurs. Sous les frondaisons des arbres, ce ne sont que bruissements délicats plongeant le promeneur dans une ambiance d'ailleurs. Des flux de parfums s'agitent pour combler tous les sens et compléter la fête.

Collobrières ©Axel Pivet
Le Lavandou, plage de Cavalière ©Axel Pivet

Déjà le soir tombe, des couleurs douceur pastel envahissent le ciel. Le crépuscule nous englobe et la nostalgie vient me prendre dans ses bras. Le temps d'observer le flamboyant combat du soleil et de la mer, du jour et des ténèbres, qu'il faut maintenant rentrer et préparer les valises. Le thé des souvenirs était bien bon à boire, la madeleine de Proust bien savoureuse.

Le Lavandou, plage de Cavalière ©Axel Pivet