Il faut voir la Bretagne par grand vent, quand la mer semble
vouloir gagner plus de terrain sur la terre que ne le prévoit la marée. Les
arbres semblent peignés en direction de la terre ; les roches sont des
tranches découpées et posées les unes sur les autres sur lesquelles la mer
glisse dans le travail de sape de l’érosion.
C’est depuis la mer en remontant a côte que le paysage de
Kerroc’h avait attiré mon attention. Nous allons souvent en promenade vers
Lomener juste à côté dans l’Est, ou vers Fort Bloqué dans le Nord-ouest, mais
entre les deux s’étire une lande que nos pas n’avaient pas encore foulé.
Les sorties en mer sont ainsi d’excellentes occasions pour
repérer des sites où revenir plus tard et quand on y arrive les perspectives
sont radicalement différentes, comme un autre lieu.
A Kerroc’h sur la Pointe du Talud, est-ce l’humidité des grains
tombés violemment le matin qui fait effet de loupe, l’île de Groix paraît bien
proche et la passe de l’Ouest, terrain de jeu des navigations de l’été semble
avoir rétréci.
Le vent nous prend de face, porteur d’embruns qui rapidement se
matérialisent sur les verres de lunettes vite mouchetées d’auréoles. Le vent
qui fouette mais sans agressivité, sans chercher à vous renverser. Juste ce
qu’il faut pour revigorer le corps et l’esprit, décrasser les poumons d’où la
pollution se trouve chassée par cet air salin chargé d’iode et d’énergie.
La mer creuse son chemin dans une roche qui paraît si solide vue
d’en haut, à faire fuir les marins, mais qui se laisse creuser, tailler, si
friable tel le géant aux pieds d’argile.
Il est bon de s’engoncer dans une veste de quart bien étanche,
remonter le col doublé de polaire pour être dans un cocon bien au chaud, exposé
à la force des éléments que l’on peut admirer sans avoir à les subir. Ma barbe
s’en ébouriffe de plaisir tandis que mes mains tremblent en dessinant.
La respiration de la mer est longue au loin, saccadée près de la
côte où elle se brise, éclate en gerbe dans le ciel ou court sur un bout de
plage, se glisse en furetant dans les interstices de la roche. Ce spectacle
vire à l’hypnose quand on s’assied bien calé, les yeux se noient dans tant de
beauté, spectacle gratuit qu’offre la nature généreuse de Bretagne.
Changement d’ambiance le lendemain matin le long de la plage de
Larmor. La mer est basse, le vent s’est calmé en laissant quelques nuages pour
meubler le ciel. Un dimanche, tout ce que les plages comptent de dériveurs et
voile légère est de sortie. Les voiles colorées des catamarans de sport font
concurrence aux spis chamarrés des voiliers. Une flottille digne d’un jour
d’été qui profite d’une accalmie pour se secouer les voiles.
Le paysage du goulet de la rade de Lorient, de la citadelle de
Port-Louis au garde à vous comme à la parade, font oublier par magie l’odeur
prenante de la grande marée basse.
Là-bas dans le port mon voilier doit être sur le point de toucher
la vase du fond du bassin avec un tel coefficient de marée, qui ne laisse que
40 cm au-dessus du zéro des cartes.
Hier déjà quand nous sommes passés le voir, le quai m’est paru
bien haut depuis le ponton quand il a fallu remonter le moteur pour l’hiverner.
Et avant de prendre la route nous irons encore veiller à ses
amarres et lui faire un signer, comme on flatte l’encolure d’un cheval après
une promenade on caresse son étrave en lui disant à bientôt.
Les week-end en Bretagne sont toujours trop courts quand on
habite loin, mais ils sont si riches en émotions qu’on ne s’en priverait pour l’or
du monde.
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